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Fragments de vies, souvenirs d’Algérie

mars 2009

Aéroport d’Orly, je revis. Croise des gens comme moi en partance. Certains pressés. Je flâne dans le hall central, curieux des tenues vestimentaires, marqueurs culturels de ceux qui les portent : djellaba, sari, barbes islamiques, femmes à la peau brune trop maquillées, imprégnées des fragrances des parfums duty free.

Les appels au voyage vers Téhéran, Cayenne ou Bamako alimentent mon imagination surchauffée. Le moniteur affiche les vols au départ vers des lieux que j’aimerais visiter, voir et sentir, faire l’expérience. Mes désirs ailés brûlent à l’écoute, les yeux fermés, des annonces invitant à rejoindre rapidement les portes d’accès à destination de Samarkande, Saint Petersbourg, les Caraïbes. Porte A 29, c’est pour moi : Alger la blanche. L’excitation me fait frissonner.

As-Salam Alaykoum. A l’aéroport m’attendait Zino, un contact établi en ligne sur le « forum Algérie ». Je découvre un jeune homme en cuir, souriant, décontracté en apparence. Il m’aborde dans l’aréoport d’Alger alors que les nombreux regards insistant des faux "taxieurs" et changeurs de dinars au marché noir convergent vers moi. Avec mon blouson jaune, mon sac à dos défraichi et mon air hagard, je tranche dans la foule d’hommes barbus et de femmes couvertes d’un hidjab, attendant le retour d’un proche. La dernière fois que j’en avais vu autant, c’était à Djakarta croisant le retour du Hadj des pèlerins de la Mecque.

En Algérie, je n’ai pas croisé le sirocco, profitant d’un doux hiver méditerranéen, souvent ensoleillé, pluvieux par moment. En revanche, j’ai côtoyé des hommes et femmes, accueillants et bienveillants, respectueux, ouverts et curieux de savoir comment c’était d’où je venais, là-bas en France et en Australie. Je suis frappé par la diversité des faciès arabes et berbères, loin du stéréotype du nord africain à la peau mate, aux cheveux bruns et bouclés. Je rencontre des sang-mêlés : blond, roux, brun foncé, mulâtre, peaux chocolat, d’autres d’un rose accentué comme moi. Je me suis très vite adapté au milieu, confiant dans le « mektoub ». Le premier soir, en compagnie de Zino nous allons à Bab El Oued boire du thé à la menthe et manger des cacahuètes. Vendredi, jour de repos et de prière, il n’y a guère d’activités, même à Alger. Zino me parle de sa soeur que je ne verrai jamais.

Le lendemain je rencontre Sally (Messaouda). Elle propose de me conduire avec sa voiture d’un bout à l’autre d’Alger : à travers la foule des marchés de Bab El Oued, direction les hauteurs d’Alger du côté de Notre Dame d’Afrique, la chrétienne d’esprit et néo-byzantine de forme, puis vers Maqam E’chahid, le mémorial du Martyr, trois lames de béton stylisées, tendues vers le ciel, érigées à l’emplacement du monument aux morts, une vaste esplanade où brûle la « flamme éternelle ». Le monument national domine la ville. Dessous au musée de l’Indépendance, les documents retraçant l’histoire des combats des moudjahidins pour la libération de leur pays valorise le courage et la résistance du peuple algérien pendant l’occupation coloniale française. J’éprouve tristesse et dégoût, découvrant les souffrances, l’humiliation, la politique d’assimilation brutale de cette période, les crimes de guerre (torture, déportation). Aujourd’hui l’Algérie continue de panser ses plaies. Je remercie mon amie de m’avoir fait découvrir la baie d’Alger depuis ses hauteurs. Au pied de la casbah se dressent les immeubles hispano-mauresques bâtis par les français. Salem Sahaa Messaouda.

Un autre jour, je téléphone à Samah, une autre connaissance, jusque là virtuelle. « Arwah » me dit-elle. Devant la célèbre grande poste d’Alger. Une entrée décorée de trois arceaux formant le haut des colonnes. Au dessus, deux dômes et une balustrade sculptée couvrent le toit. Comme nous ne nous sommes jamais vu, je lui dit qu’elle me reconnaîtra au blouson en cuir jaune. Elle est petite, ses cheveux couverts d’un châle vert. Nous marchons, parlant de nos voyages. Elle est allée sur les chemins de Damas, Istanbul, Turin et sentie l’air de Paris. Aujourd’hui, elle m’emmène au cœur de la Casbah, un labyrinthe de ruelles étroites, maisons à terrace pittoresques dont certaines s’écroulent, palais, mosquée et mausolée décorés d’art mauresque. Des dizaines de milliers de personnes vivent dans la médina. Samah, fervente et bienveillante musulmane s’intéresse au miracle de l’eau. A l’heure de la prière de la mi-journée, elle m’entraîne dans la maison d’un saint homme, Sidi Abderrahmen Ethaalibi. Pendant qu’elle prie au milieu des femmes, je m’assoie sur le tapis à côté des hommes, profitant de ce repos pour regarder les photos prises ce matin au marché. Samah était fière de me montrer les broderies, lits sculptés et différents costumes traditionnels. Elle consacre une partie de ses congés à coudre le sien avec un peu de fil d’or et beaucoup de patience. Elle le portera le jour de son mariage.

Samah et moi marchons de haut en bas de la Casbah, jusqu’à l’heure de la prière de fin d’après midi. Si l’on se perd dans ce dédale de rues étroites, il suffit de redescendre vers la mer pour se retrouver. Place des Trois Horloges à Bab El Oued, centre historique des français d’Algérie d’avant 1962, on a mangé un chawarma goûteux, avant de boire chaud dans un salon de thé turque. On s’est séparé devant la nouvelle mosquée Djamâa El-Jdid, un édifice de 1660. J’en profite pour photographier quelques prieurs à genoux. Bismillâh

Le soir à l’hôtel Samira, en compagnie de Akim, Yazi, Zoer, Zaher - surnommé Driouèche ou bien « option » - nous bavardons devant un thé traditionnellement fort et sucré. La veille de mon départ en bus pour Béjaïa en Kabylie, à travers les montagnes Djurdjura, les joyeux kabyles me vantent l’esprit d’ouverture et le mode de vie pro-occidentale des gens de leur pays, moins marqués par la crainte d’Allah que ceux d’Alger. Elévés dans l’esprit des règles de vie prescrites par le Coran, ils reconnaissent pratiquer la religion en dilletante, buvant de l’alcool à l’occasion. Parfois ils mangent aussi du sanglier. Le Ramadan, ça dépend !

Arrivée à Béjaïa, je rencontre Lyes, grâce à qui j’ai obtenu le sésame pour entrer en Algérie. Il m’invite immédiatement dans un bar ; comme moi, il ne fait pas abstinence sur l’alcool. Alors que l’Islam est religion d’état, le contraste entre Alger et la Kabylie est frappant. Ici, on parle le berbère dans les rues, au bar et sur les places publiques alors qu’ à Alger c’est la langue du Coran. De même, les signes de soumission au Dieu, barbe, voile ou chechia ne sont pas aussi affichés. A l’inverse de la capitale, me sachant prophane, personne n’a essayé de me convaincre « gentiment » des vérités enseignées par le prophète Muhammad. Le point commun avec Alger, c’est le nombre de jeunes de 20, 25 ans qui « tiennent les murs ». Abandonnés sur la voie du développement économique algérien, ils tuent le temps dans la rue, quand ils ne sont pas place Gueydon à observer le traffic portuaire en bas de la colline.

Lyes a pris une journée de congé pour me faire visiter les environs de Bejaia. Je découvre des splendeurs naturelles le long de la route sinueuse de la baie des Aiguades, où vivent de nombreux singes. Après avoir traversé à pied un petit tunnel, nous arrivons sur un promontoir offrant une vue directe sur le Cap Carbon, une tête insulaire de roches blanches et de végétation maritime avançant dans la mer. Serpentant le long du piton rocheux, un sentier mène à un phare à environ 200 m au dessus de la mer. Nous reprenons la route au milieu des pins et des oliviers, direction le pic des singes et Yemma Gouraya, la montagne dominant Bejaia. La visite panoramique nous a ouvert l’appétit. Sur le port, on s’arrète dans une cabane à sardines et merguez grillées. Délicieuses, arrosées de bière de malt et « piquant » maison. Plus tard, avec Mustapha le père de Lyes, nous visitons El Burse Moussa, le chateau espagnol du XVIè s. On y présente l’histoire de Bougie, la ville des chandelles, éclairée du savoir des scientifiques, poètes et philosophes venant ici depuis des lustres.

Retour à Bab El Oued, une fois passé les barrages militaires à l’entrée d’Alger. La sécurité d’état impose une tension. La conscience des fidèles ne saurait être guidée par la seule présence des mosquées et l’appel caverneux aux prières quotidiennes. L’Islam commande de porter assistance à son prochain. Ainsi, les gens m’aident volontiers quand je leur demande des renseignements. La foi religieuse, modérée ou fervente de mes rencontres algériennes, de même que leur générosité bienveillante m’interpellent. Ils se font un devoir de me faire plaisir. Certains m’invitent naturellement à les accompagner pour boire un café ou manger une carentita, la purée de poix chiche. C’est le cas lors de la conversation que j’ai eu avec ce « changeur » d’argent au marché noir. Nous avons poursuivi au café la discussion amicale entamée dans la rue Abane Ramdane, à Alger, à deux pas des bureaux du gouvernement algérien.

Fragments de vies, fragments d’écrits et de souvenirs, la nostalgie du temps passé à Alger pèse sur mon coeur. Alger la blanche, Alger du rire et des larmes retenues, des joies étouffées, des rondes joyeuses. Alger des rêves insensés à vivre peut-être. Inch Allah

...De la terrasse, je scrute les nuages de février comme s’ils devaient me dire l’avenir... et je pense à hier, au marché, où les gens se bousculaient, sans trop se presser... les femmes s’agglutinaient autour des marchands d’épices. Dans les restaurants ça sentait bon la Chorba Loubia. Je regarde ces silhouettes, en jean’s et hidjab, marcher le long des rues. J’ai en mémoire des images des nuits algéroises du temps jadis...que je n’ai pas vécu. Ma vie, mon errance, mon amour inconnu, si tu pouvais me délivrer du mal comme une prière. Qu’y a-t-il à l’horizon, si ce n’est des lumières que mon regard voit pareilles à de la brume...et jusqu’aux questions posées, comme un désir pressant de sortir de ma caverne.

Ce soir, il me reste un peu de lumière, elle me vient de ce toit, terrasse fleurie au dessus d’Alger la blanche. Fragments d’émotions, blues du départ, angoisse du retour, vers cet adversaire qui a gâché l’amour... comment lui pardonner quand je ne suis maintenant que pierre et silence ? Tel un oiseau sans nid, un voyageur sans maison, un destin sans « mektoub ». Ce n’est pas seulement la grisaille du jour perdu qui m’enveloppe d’une douceur mélancolique ! Beslama.

Arno Anktil


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